Mon nom est Personne!

Qu'est-ce qui façonne notre identité?

Qu’est-ce qui fait que nous restons nous-mêmes alors que nous changeons tout le temps?
L’identité se fait la malle, se joue de nous, apparait sous des traits changeants.
Pour trouver qui elle était, on s’est cherché partout. Et on a enquêté à grands coups de pourquoi ? A travers quoi reste-t-on le même ? A travers notre corps, nos valeurs, nos idées, notre mémoire, notre conscience ? Où notre identité, comme élément stable à travers le temps et les circonstances, pouvait-elle bien se cacher ? Comment être sûr que JE existe ? A chaque fois, les pistes engagées semblaient bien vite nous fourvoyer. Mais nous ne nous sommes pas laissé démonter pour autant!

Avertissement! Ceci est « seulement » le squelette d’un plan de préparation de l’animateur (références philosophiques sur le sujet, orientations à considérer) à un atelier des Philonautes qui s’est déroulé sur plusieurs séances. Il ne rend compte ni du cheminement fin des questionnements ni des supports inducteurs exhaustifs ni des expériences de pensée mobilisées. Tous les points mentionnés ici n’ont pas nécessairement été convoqués, et à l’inverse, d’autres aspects non anticipés ont vu le jour et ont été développés au cours de l’enquête.

 

Hypothèse 1: Le corps, les goûts, les couleurs...

D’abord, bien vite, on a abandonné tout espoir de dénicher notre identité dans notre corps physique. Rien de plus instable !  Notre image peut être trompeuse, le miroir ne renvoie qu’un reflet partiel de mon apparence, n’est-ce pas Platon (en fait, c’est lui qui nous a soufflé la mise en garde); comment s’y fier ? D’ailleurs, au-delà de l’illusion que me renvoie mon image, que dire de moi quand je suis en société? 

Un vrai costume d’Arlequin lunatique. Ce moi inconstant, qui endosse un masque, « persona » latin, et joue un rôle en permanence : comment saisir mon authenticité ? Je prends un selfie, je me mets en scène ; je présente un exposé devant la classe, je me mets en scène ; je me conforme aux attentes des autres par peur du rejet ou de l’abandon, je me mets en scène…bref, pour mille raisons, je ne suis pas tout à fait moi-même, je me représente dans une certaine posture, avec certaines expressions très codifiées. 

Et c’était sans compter sur cette découverte que nos cellules qui se renouvellent en permanence. C’est vrai, quoi, on grandit, puis il y a la puberté, puis on vieillit, nos cheveux changent de couleurs, des rides apparaissent sur notre visage. Au bout de 7 années, déjà, toutes les cellules de notre corps ont été renouvelées. On maigrit, on grossit, on se muscle ou on s’empâte. Bref, qu’est-ce qui reste permanent, à part peut-être nos empreintes digitales et l’iris de nos yeux ?

Tel le bateau de Thésée, si tout se renouvelle en nous (et même si c’était un renouvellement à l’identique), sommes-nous toujours le même ou un autre ? 

Et dans notre tête, ce n’est pas plus stable. C’est au contraire le désordre et la remise dans un ordre nouveau sans cesse. On apprend, on accumule des expériences nouvelles, on change d’avis, de goût, d’objectifs, de valeurs, c’est possible aussi.

On s’est alors sérieusement questionné et on a un peu pris peur: serait-il possible que notre intuition d’être toujours la même personne au fil du temps ne soit qu’illusion ?

Hypothèse 2: La conscience

Mais ça, c’était juste avant que l’inspecteur René Descartes nous réveille de notre torpeur. Alors que nous étions justement en train de penser au point d’en fumer par les oreilles, celui-ci s’exclame dans un élan d’espoir qu’il tenait une nouvelle piste : la conscience. Quand je prends conscience que je suis en train de penser, je sais que j’existe. Pas plus compliqué, les amis. Tous ont acquiescé, et heureux d’avoir trouvé une issue à première vue satisfaisante à leur aporie, ils ont commencé à vaquer de nouveaux à leurs occupations. Tous sauf Henri. Henri Bergson, resté silencieux jusqu’alors, restait visiblement dubitatif. Son mutisme inquiétait, et bientôt un groupe s’est formé autour de lui. L’enquête repartirait-elle de plus belle ? C’est que nous ne sommes que rarement conscients de nous-même, se défend-il. Nous ne sommes conscients de nous-mêmes que quand nous sommes pleinement libres de nos décisions, quand on doit faire un choix. Mais la plupart du temps, nous agissons par automatisme, à travers des actions habituelles, comme celles que vous vous apprêtiez tous à reprendre à présent, à travers vos petites tâches quotidiennes auxquelles vous êtes accoutumées. Et le dialogue de se poursuivre avec ce dilemme. Certains auraient même entendu Blaise Pascal, au grand dam de tous, s’exaspérer de désespoir : « Qu’est-ce que le moi ? […] Où est donc ce moi qui n’est ni dans le corps ni dans l’âme ? »

Hypothèse3: La mémoire

Admettons, a alors lancé John Locke, je comprends bien ta réticence. Cependant, vois-tu, tandis que je reprenais mon ouvrage à l’instant, une autre idée éclairante m’est venue en tête. Comment n’y avais-je pas pensé plus tôt ! Eh bien, comme chacun de nous, il y a 5 minutes, on a recommencé le travail que nous avions laissé avant le début de la discussion : c’est donc que nous avons la mémoire de notre passé. Et tu ne peux pas nier que s’il est bien une chose qui fait de chacun de nous un un sujet distinct de tous les autres et en le même sujet à travers le temps, c’est bien parce que nous avons tracé une histoire de vie singulière que nous gardons en mémoire ! Je n’ai pas les mêmes souvenirs que toi et je suis bien la même personne que j’étais hier parce que je partage la même mémoire qu’hier.

Mais Gottfried Wilhelm Leibniz de rétorquer aussitôt :  Quid des personnes touchées par Alzheimer ?  En perdant leur mémoire, ont-elles perdu leur identité ? Et de poursuivre : Notre mémoire n’est pas fiable à 100%. Dans certains procès ou même à la maison, à l’école, auprès de personnes manipulatrices, on peut me persuader d’avoir vécu des choses qui n’ont pas effectivement eu lieu, on peut me faire tourner en bourrique. Ma mémoire peut me trahir, me jouer des tours : elle se focalise sur certains éléments, en oublie d’autres et peut même se mettre à fabuler, à délirer et à créer de faux souvenirs de toutes pièces. Crois-tu vraiment qu’on puisse s’y fier au point d’y postuler le fondement de notre identité? Du coup, si j’oublie ce que j’ai fait dans mon enfance (admettons que j’ai fait une grosse bêtise avec de lourdes conséquences), selon toi, je n’en serais pas responsable aujourd’hui ? Remarque pertinent qui laissa tous les enquêteurs plongés dans un abîme de perplexité.

Embourbé dans ses considérations vertigineuses, David Hume, resté à l’écoute de ses camarades jusqu’alors, s’avise d’une remarque contre-intuitive et renversante. Alors, tout ceci doit-il nous conduire à la conclusion que je n’existe pas ?! Que « je » est une illusion! Nécessaire à la vie personnelle et sociale, certes sans doute, mais une illusion tout de même ?!

« J’ose me risquer à affirmer que les hommes ne ont rien d’autre qu’un faisceau ou une collection de différentes perceptions qui se succèdent les unes les autres avec une inconcevable rapidité, et qui sont dans un perpétuel flux et mouvement »

Très juste, David ! renchérit alors Bertrand Russell. Je suis d’accord avec toi, au fond, tout ce qu’on peut dire, c’est qu’il n’y a que des moi instantanés de sense-data, rien de plus.

Le grand vertige?

L’idée selon laquelle l’identité n’est qu’illusion vous parait si dérangeante ?

Je comprends. Mais je vous soumets une hypothèse : Vous auriez peut-être besoin de sortir d’une votre conditionnement occidento-centré ? De comprendre que votre perception du moi, tout évident qu’il puisse vous paraitre, n’est peut-être pas universellement partagée ? Ca vous semble fou et invraisemblable ? Et si je vous dis que tout le cheminement rationnel que vous avez parcouru ci-dessus, en partant de l’analyse du corps pour aller vers la faillibilité de la mémoire en passant par la conscience aurait pu être épargnée si vous aviez postulé au départ que le moi n’existe pas. 

Admettez un instant de faire le point sur vos a priori, vos présupposés : vous vous êtes embourbés dans des représentations inconscientes et si profondes que vous ne les avez même pas remis en cause une seconde? Et si une petite mise à distance vous avait ouvert les yeux sur le caractère non évident de votre postulat de départ ? La clé pour sortir de cette aporie, vous auriez sans doute trouvée plus vite. La conception orientale par exemple, tel le Bouddhisme, nous enseigne en effet une autre voie : il n’y a ni permanence (comme notre ami présocratique Héraclite d’ailleurs…), ni essence, ni unité, partant pas de moi. La messe est dite.
Ne soyons pas comme le Cyclope dupé et aveuglé par la ruse d’Ulysse… Ouvrons les deux yeux et tentons de com-prendre d’autres représentations autour de nous.

Mais alors, si je ne suis pas, comment me connaitre?

« Apprendre à se connaître est très difficile […] et un très grand plaisir en même temps (quel plaisir de se connaître !) ; mais nous ne pouvons pas nous contempler nous-mêmes à partir de nous-mêmes : ce qui le prouve, ce sont les reproches que nous adressons à d’autres, sans nous rendre compte que nous commettons les mêmes erreurs, aveuglés que nous sommes, pour beaucoup d’entre nous, par l’indulgence et la passion qui nous empêchent de juger correctement.
Par conséquent, à la façon dont nous regardons dans un miroir quand nous voulons voir notre visage, quand nous voulons apprendre à nous connaître, c’est en tournant nos regards vers notre ami que nous pourrions nous découvrir, puisqu’un ami est un autre soi-même. Concluons : la connaissance de soi est un plaisir qui n’est pas possible sans la présence de quelqu’un d’autre qui soit notre ami ; l’homme qui se suffit à soi-même aurait donc besoin d’amitié pour apprendre à se connaître soi-même. »

Aristote

Aveuglé par soi-même ? Certes, je l’avoue, je reconnais bien mieux les erreurs chez les autres ; on est bien plus prompt à la critique quand on voit la bévue chez autrui.

Un moyen de sortir de cette indulgence à notre égard ? Bien sûr, réplique Sartre : Détourne ton regard de ton nombril et tourne-le plutôt vers l’autre pour mieux te voir, « autrui est le nécessaire médiateur de moi-même à moi-même », et si je suis à l’écoute, je trouve en lui un alter ego qui me donne les moyens de me comprendre moi-même. Quand l’introspection ne suffit plus, l’ami est là. Mais attention, ce n’est pas nécessairement un double qui doit me ressembler ! Mal à qui s’y méprendrait, comme le hérisson de la video ! 

Allez, un peu d’auto-dérision pour se dérider ! 🙂

Chercher à capturer son identité à travers le regard de ses semblables comporte certains risques…

Un ami profondément dissemblable, et qui m’enrichit de ses différences, me permet tout autant sinon bien plus de me connaitre moi-même : Faites de l’étrangeté un ami et ne cessez de vous laisser surprendre par vous-même dans le regard de ce qui vous est étranger !

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