Laïcité: Retour en 1905
Aujourd’hui, c’est la Journée de la Laïcité !
On commémore le jour de vote pour la séparation de l’église et de l’Etat en 1905. Ce jour qui a peu à peu permis aux Français de se réconcilier autour de valeurs unificatrices, en dépit des antagonismes religieux. Ce jour où les radicaux « bouffeurs de curés » ont progressivement compris qu’il leur fallait calmer leurs ardeurs et devenir moins intolérants à l’encontre du fait religieux.
C’était un progrès, né d’un compromis nécessaire, suite à d’interminables débats houleux à l’assemblée. Imaginez-vous que ces discussions enflammées ont perduré près d’un an dans l’hémicycle! C’est dire que le sujet ne faisait pas l’unanimité. D’ailleurs, si tu veux en savoir plus, je te conseille chaudement ce film historique : « La Séparation », qui te replongera dans les tumultueuses discussions passionnées de l’Assemblée. Détrompe-toi tout de suite, ce débat juridico-politique n’est pas du tout ennuyant, comme tu le penses, bien au contraire ! Encore aujourd’hui, le sujet n’a pas fini de faire couler de l’encre !
Laïcité: de quoi es-tu le nom?
Quel pays plus que la France déchaine autant les passions à propos de sa « sacro-sainte » laicité ? Au point d’attribuer à cette valeur le tout et son contraire. Tantôt, elle soutiendrait la simple neutralité de l’Etat, tantôt on justifierait l’anticléricalisme en son nom. Parfois on la brandit pour discriminer certaines pratiques culturelles et cultuelles des minorités, pour contrer le communautarisme, vu comme une menace à l’intégrité de la nation, tandis que d’autres fois, tu viens nous rappeler à la tolérance pour mieux vivre ensemble. On peut dire, chère laïcité, que tu as bon dos et qu’on te fait bien dire parfois ce qu’on veut.
Régulièrement escamotée par les médias, à la tribune des hommes politiques, mais aussi parfois à l’école, dans les mouvements sociaux, etc., ahh la laicité, cette pomme de discorde ; chacun y va de sa petite définition, qu’il prétend être bien entendu la seule et unique valable. On dirait bien que certains vouent un quasi-culte à cette « norme », à laquelle on ne devrait en aucun cas déroger, quelle que soit la situation. Jamais un peuple ne se sera autant braqué sur un thème si controversé et si prompt à prêter à confusion. Une controverse bien difficile à comprendre pour nos amis étrangers, pour qui la question du « vivre ensemble » ne se pose pas en ces termes.
Un modèle de société à repenser?
Je sais bien que gérer le facteur humain est un défi de tous les jours et que les questions de laicité sont délicates. Garde-toi bien de penser que je te jette la pierre, chère France, je sais que tout cela n’est que le reflet de ton lourd passé : l’héritage de ta révolution qui révoque le monarque de droit divin, le puissant anticléricalisme de ta fin de XIXe siècle, ta politique coloniale assimilationniste, etc… Mais faute de ne t’être mis à la page de certaines réalités d’aujourd’hui, tu en écopes les conséquences. Je sais bien que tu éprouves quelques difficultés à considérer la nation idéale autrement que comme un ensemble, somme toute, assez uniforme. La neutralité religieuse en public, le partage de valeurs normatives communes, etc. C’est ce qui, selon toi, cimente le sentiment national et ce qui conditionne la saine relation entre des gens si différents. Idéaliste France, rappelle-toi néanmoins que la Loi de Séparation de l’Eglise et de l’Etat de 1905 auquel tu fais si souvent référence et dont tu sembles si fière, était une loi d’apaisement, de compromis. Que cette réponse a été établie voilà plus d’un siècle dans un contexte bien spécifique et adapté à son époque… mais que bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis lors. Crois-tu donc que la manière de faire valoir un principe, c’est universelle, immuable et que ce qui est bon une fois le sera pour toujours ?
Ce qui serait bon aujourd’hui, c’est de dépoussiérer, de redonner un vrai sens à la laicité et de la re-contextualiser. Quand un mot devient un fourre-tout, le danger pointe le bout de son nez. Relisez Orwell pour vous en convaincre. Et j’aimerais que vous prêtiez attention à cet avertissement : jamais il ne faut sous-évaluer le poids et le pouvoir des mots. Restez attentif et ne devenez pas un pigeon pris à son propre piège ! A bon entendeur…
Se décentrer pour mieux penser
Vu de l’étranger et avec tout le décentrement que cette posture implique, et avec tout le respect que je te dois, chère France, je dois te faire part de quelques observations. Par ton attachement à une conception souvent rigoriste et encore assez autoritaire de la laicité, tu sembles arriver aujourd’hui à une impasse. Nous voyons se générer quelques crispations, quelques animosités, une certaine tension qu’il serait imprudent de ne pas prendre en considération.
Ne serait-il pas temps de lever un peu le nez par-dessus les frontières ?
Ne serait-il pas temps de repenser la laicité ?
Ne pourrait-on pas en France, imaginer une conception nouvelle de la laicité qui fasse compromis dans la réalité d’aujourd’hui?
Quoique le terme a la réputation de ne pas s’exporter au-delà des frontières hexagonales, ce serait faux de prétendre que la France en a le monopole. Non, la France n’a pas le monopole de la laicité. Le monopole qu’elle peut revendiquer, en revanche, c’est celui de l’intensité de la cristallisation des débats à son égard. Et cette position défensive ne m’inspire rien qui vaille à l’heure actuelle.
Revenons au but ultime de la laicité, quelle qu’elle soit : la liberté de conscience et de religion ! Parfait, cela semble convenable et viable, comme projet 😉
Les manières de le mettre en application se déclinent selon les réalités locales, donc selon l’espace,…mais aussi selon le temps qui court. De même qu’un enfant, en grandissant, a besoin de vêtements plus grands, plus à son goût, de même, quand toute réalité change, il est logique et naturel d’adapter le mode d’application de la laïcité en conséquence. C’est ainsi qu’il existe non pas une, mais DES laicitéS : différents aménagements du vivre ensemble, pour assurer la séparation ou la neutralité, l’égalité, la liberté de conscience.
Difficile de faire l’unanimité sur un sujet si controversé, je l’admets. Y réfléchir implique de mettre en perspective les fondements à partir desquels on pense sa relation au monde. Il nécessite de faire l’effort de comprendre les autres manières de voir le monde, sans les juger. C’est un exercice aventureux par lequel on accepte de déstabiliser nos repères habituels ; une gymnastique de l’esprit à laquelle beaucoup de monde n’est pas prêt. Mais ça vaut la peine d’y penser, avant qu’il ne soit trop tard, pour prévenir et éviter une rupture fatale et dommageable. En tout état de cause, ce n’est pas sans doute pas en jouant à la politique de l’autruche, que la solution surgira d’elle-même.